En Attente de la Grâce Divine

Le jeune dragon volait. Il n'était véritablement heureux que lorsqu'il était dans les cieux. Lorsque ses ailes frôlaient les nuages, qu'il voyait le monde en dessous, minuscule, s'étaler sous ses yeux.

Le vent fouettait ses écailles, glacé, et Kad se dit qu'il était temps qu'il redescende. Il avait soif, et besoin de boire.

Il amorça la descente, frôlant la cime des arbres jusqu'à repérer un petit lac fort sympathique. Avec un sourire qui découvrit toute ses dents pointues, il battit des ailes pour se poser sur la rive, opposée à la jeune fille qu'il n'avait pas remarquée ni sentie.

Il se posa avec grâce, le plus silencieusement possible. Sa crinière couleur rouille flottait dans le vent, et il inclina son cou argenté vers la surface claire de l'eau et la but à grandes lampées. Une fois désaltéré, il releva la tête, observa le ciel dans lequel les nuages s'assemblaient d'un air qui ne lui disait rien de bon. Il soupira, un nuage de fumée sortant de ses naseaux.

Il resta quelques secondes à réfléchir. C'était trop dangereux de reprendre sa route maintenant. Il allait trouver une grotte, quelque part, et s'y installer pour la nuit. Mais il était trop gros, trop facilement repérable, surtout en plein milieu du territoire des humains.

Alors, lentement, il se métamorphosa. La transformation n'était pas douloureuse, mais elle était lente et nécessitait énormément de concentration. Quelques minutes plus tard, il caressait ses longs cheveux argentés et son armure noire étincelante, parsemée de rouge clair.

Un sourire satisfait étira ses lèvres lorsqu'il sentit une présence étrange en face de lui.

Ses yeux clairs croisèrent alors un autre regard.

Il ne put s'empêcher de se mordre la lèvre en sentant venir les ennuis.

Tout un tas d'émotions passèrent sur son visage, de la gêne à l'étonnement puis à la méfiance et enfin la colère lorsqu'il entendit la dernière phrase. En deux temps trois mouvements, il marchait sur l'eau et il était devant la jeune fille. C'est pratique parfois, la maîtrise des éléments.

- Soldat du SRM, tu dis ?

Un grondement s'échappait de sa gorge, et ses yeux étaient aussi rouge que du rubis.

Il avait beau dire, sa haine n'était pas totalement eclipsée. Il empoigna le drap de la jeune fille, le faisant glisser et tomber au sol, mais il n'esquissa pas un mouvement en direction du corps nu. Il la regardait droit dans les yeux.

- Tes hommes, hein ? Combien êtes vous ? Que venez vous faire ici... Euh, d'ailleurs, on est où, là ?

Il relâcha la jeune femme, sortit la langue pour goûter l'air, leva les yeux pour tenter de définir dans quel pays il se trouvait. Il avait survolé trop longtemps la nature et les forêt, et il n'était pas bien sûr d'où il était. Du moins, il hésitait entre les Khajiits et les Humains. 

Son air menaçant s'était totalement échappé de son visage, et il n'affichait plus qu'un air étonné, réfléchit. Une bouille pas vraiment effrayante pour un dragon de sa carrure.

Il se figea et regarda la jeune fille d'un air éberlué. La marque sur sa joue était brûlante, mais il ne la sentait presque pas tant il était accaparé par le flot qui sortait de la bouche de la jeune femme.

Donc, il était chez les Hommes. Ceci expliquant cela... Cependant, il ne savait pas que les humains avaient faim. La Garde Solaire ne le savait pas. Est-ce qu'il fallait faire quelque chose pour les aider ? Oui, absolument. Il en toucherait un mot au conseil dès qu'il serait rentré.

Il se figea à nouveau lorsque la jeune fille se mit à pleurer.

- Eh, du calme, je suis pas...

Il déglutit.

- Je suis pas venu détruire quoi que ce soit. Je faisait juste une halte. Juste... Eh, j'suis pas méchant moi. Loin de là. Mon seul but... C'est la survie et le bien être des espèces. J'ignorais que vous mourriez de faim, sinon ça ferait longtemps qu'on vous aurait nourri, je te l'assure. Je t'en prie, calme-toi...

Il s'approcha d'elle et lui empoigna les épaules avant de l'amener vers lui et de la serrer dans ses bras d'une manière un peu bancale.

Il faut dire aussi que ce n'est pas facile d'avoir "deux" corps. Surtout de passer de l'un à l'autre lorsque l'on est habitué à l'un des deux.

Mais tout ce qu'il voulait pour le moment, c'était calmer la jeune fille, la rassurer. Peut-être qu'il pourrait lui faire ouvrir les yeux ? Lui expliquer que la destruction des créatures magiques, ce n'était pas la solution ? Que tout ce qu'il fallait, c'était la paix et la justice ?

Il jouait avec le feu en la serrant comme ça, mais elle était nue et loin de ses armes. Et puis, le feu n'était-il pas son élément de naissance ?

Kad replaça une mèche de ses cheveux qui gênait sa vision derrière son oreille. Il ferma les yeux quelques secondes, puis vint les ouvrir.

- Malheureusement, ça ne dépends pas de moi. Enfin, je peux seulement faire en sorte que les dragons restent calme. Ca marche plutôt bien, pour l'instant.

Il bascula la tête en arrière et regarda le ciel. Une fine goutte d'eau tombait vers lui. Il la laissa faire, et elle s'étala au niveau de son troisième oeil pour rouler prêt de son oeil droit, et tomber sur sa joue telle une larme.

Il baissa de nouveau sa tête, regarda la jeune fille enroulée dans le drap qu'il lui avait ôté par mégarde tout à l'heure. Il lui tourna le dos.

- Euh, si t'as, genre, des vêtements, tu peux te rhabiller, hein.

Il n'avait pas prit conscience, jusqu'à maintenant, de la quasi-nudité de la jeune femme. Pendant qu'elle se rhabillait, il énonça :

- Au fait, moi c'est Kadfael. Et toi ?

Comme toujours, il évitait de donner son nom de famille. Il ne voulait pas que tout le monde sache qu'il était l'un des princes du Royaume des Dragons. Ca pouvait lui attirer des ennuis...

- Enchanté, Alix.

Il s'assit par terre à côté d'elle, jetant néanmoins un regard mal assuré à ses armes.

- Alors, qu'est-ce qui a poussé une jolie fille comme toi à rejoindre le SRM ?

Il prit un air assuré alors qu'au fond, il avait un peu peur de la réponse. Il avait peur d'être tombé sur un déviant qui cachait son jeu. Il avait peur... Oui, les dragons étaient capables de ce sentiment, eux aussi.

Une attaque de dragons. Ca sonnait douloureusement familier à son oreille. Il ferma les yeux et tenta de contrôler ses émotions. Puis, il souffla grandement et se tourna vers la jeune fille.

- Ca a dû être dur, pour toi...

Le temps commençait à se rafraîchir, et il voyait la jeune fille trembler. Il ouvrit la main, en faisant jaillir une flamme vive et chaude, qu'il fit flotter au dessus du sol, entre eux deux. Comme la pluie commençait à tomber, et que le dense feuillage des arbres ne parvenait pas à les abriter complètement, il se concentra et créa un dôme d'eau au dessus d'eux, qui absorbait l'eau qui tombait du ciel, pour la faire glisser et tomber au sol. Quant à Kad et Alix, ils étaient tout les deux au sec.

- C'est... L'armure que mon père m'a donné quand je me suis engagé dans la garde.

Il n'avait pas envie d'en dire plus. Et à quoi bon ? À quoi bon lui révéler la vérité sur lui-même ? Il inspira profondément avant de la regarder droit dans les yeux.

- Tu es magnifique, Alix.

Il ne savait pas ce qui lui avait prit, alors il détourna rapidement le regard et se mit à fixer un point au loin, sur l'autre berge du lac, ses joues se colorant de rouge.

C'est alors qu'il le vit.

Énorme, gris foncé comme les pierres sous-marine, il serpentait dans l'eau, ne laissant que de simples clapotis à sa surface. Mais Kadfael n'était pas dupe, et il savait reconnaître un dragon quand il le voyait. Même un dragon d'eau, ce qui était plutôt rare, puisque leur race avait été chassée de leur royaume il y avait de cela des millénaires.

Il se leva avec force, un grondement sourd sortant de sa gorge alors qu'il commençait à se transformer. D'abord ses ailes, immenses, qui semblaient surgir de sa peau, la déchirant, puis ses bras qui peut à peut prenaient la forme de ses pattes. En moins d'une minute, il avait de nouveau sa forme originelle, un énorme dragon qui semblait être fait d'acier étincelant. Il rugit avec violence et s'élança vers le bord du lac, protégeant comme il le pouvait la jeune humaine en bas, qui ne devait pas y comprendre grand chose.

- Sors de là !

Rugit Kadfael, impérieux. La créature ne se fit pas prier et éleva son long coup sinueux, son corps à l'aspect d'un serpent, sans ailes, ses dents affûtées plongeant vers le cou du jeune prince qui évita et répliqua en envoyant un coup de patte puissant sur la gueule de son adversaire.

Ce dernier gémit longuement, du sang s'échappant de l'entaille qui barrait son museau, avant de repartir à l'attaque en crachant une gerbe de flammes bleues vers Kadfael, qui éleva de se fait un bouclier rapide fait d'eau, sur lequel les flammes partirent en vapeur.

Enervé, le jeune dragon se jeta sans plus attendre sur le dragon d'eau, lui déchiquetant la gorge avec fureur, alors que l'autre, se débattant, lui laissait une entaille sanguinolente sur la poitrine. Aveuglé par sa fureur, Kadfael ne chercha pas à entendre les explications de son attaquant, et lui coupa la carotide, ses dents fouillant sa gorge dans le but d'éteindre une fois pour toute la vie de cette créature. Il poussa un grondement victorieux lorsque sa mâchoire relâchait enfin le cadavre de la bête qui s'effondra dans le lac dans une gerbe d'eau teintée de rouge.

Kad se tourna alors vers Alix, les naseaux fumants, la gueule dégoulinante de sang, une lueur sauvage dans le regard.

Merde. Il lui a fait peur.

Bah oui, bien sûr que tu lui as fait peur, Kad, t'es couvert de sang, et tu viens de tuer sans trop de difficulté une bestiole deux fois plus grande que toi, et elle a vécu un drame causé par des dragons !

Il fit taire la petite voix agaçante dans sa tête. Il n'avait pas besoin de se souvenir de ce détail. Ca lui parlait trop. 

Il reprit sa forme humaine le plus rapidement possible, se fichant de la plaie sur sa poitrine qui le brûlait, et partit en courant à la recherche de la jeune femme.

- Alix !

S'égosilla-t-il.

- Alix, s'il-te-plaît, réponds moi ! Je te promets que je ne vais rien te faire ! Alix !

Sa voix passait dans la forêt, mais personne ne lui répondait, hormis l'écho. Mortifié, il se laissa tomber contre un arbre (le même que celui d'Alix, mais il ne l'as pas vue) et tenta de contrôler son souffle déchiré.

- Merde... Bravo Kad, t'as encore tout foiré...

Dit-il dans un gémissement.

- Alix !

Il n'y avait pas de mot pour décrire à quel point il était soulagé. Il lui fit un grand sourire puis, voyant qu'elle pleurait, il l'approcha de lui, jusqu'à la prendre dans ses bras, la forçant à s'asseoir sur lui.

- Eh, pleure pas, c'est rien...

Ses bras entourèrent le dos de la jeune fille, la collant contre son torse, sans se soucier de sa blessure.

Il posa sa tête contre l'épaule de la jeune fille, des larmes silencieuses coulant sur ses joues. 

- C'est moi qui suis terriblement désolé, Alix...

Mais ce n'était qu'un murmure, et il n'était même pas sûr qu'elle l'ait entendu. Il passa ses mains sur le ventre de la jeune fille, sous son t-shirt, se rassurant de sa présence, la culpabilité lui rongeant le coeur. Il ne contrôlait plus vraiment ce qu'il faisait.

Il avait du mal à respirer, son souffle se mêlant à celui d'Alix, jusqu'à ce qu'il s'avance d'avantage vers elle pour embrasser son cou de ses lèvres chaudes.

- C'est de ma faute...

Il se mordit la lèvre avec violence, repoussant doucement Alix. Sa blessure sur le torse le brûlait, et il avait du mal à saisir ce qu'il disait.

- Ton village...

Il ferma les yeux, puis les rouvrit en détournant la tête.

- C'est à cause de moi qu'il a brûlé...

Des larmes chaudes coulaient sur ses joues. Il ne voulait pas croiser le regard d'Alix. Il ne voulait pas voir les reproches et la haine sur son visage. La culpabilité le rongeait déjà suffisamment comme cela.

Ce sentiment qui le rongeait depuis une dizaine d'année venait de s'accroître subitement. Il se sentait tellement mal, il avait envie de vomir. Il avait été aveuglé par la haine et la tristesse. Il avait donné un ordre qu'il avait regretté à l'instant même ou il était sortit de sa bouche.

Il se releva avec difficulté, faisant face à Alix d'un air honteux, accusant chacune de ses paroles comme des coups de poignards dans son coeur. Il ne savait pas qu'il y avait des survivants. Cependant, il savait qu'il méritait ces paroles. Il avait volé sa vie à quelqu'un, ce n'était pas rien.

- Si je pouvais revenir en arrière, crois-moi, je le ferais sans aucune hésitation...

Il s'avança prudemment vers elle, plongeant son regard dans le sien.

- J'étais aveuglé par ma haine et ma colère. Moi et mon groupe, on venait de subir une attaque du SRM, qui avait coûté la vie à tout mes camarades, et à mon compagnon... J'étais tellement mal, tellement triste, tellement en colère, que lorsque j'ai entendu une rumeur comme quoi le QG du SRM était là bas, je n'ai pas... Je n'ai pas réfléchis, j'ai foncé. J'ai donné l'ordre d'attaquer, de brûler, de tuer. J'avais tellement mal... J'ai moi même participé au carnage - car c'en était un. Je n'ai réalisé qu'après que c'était une fausse information. Je venais de nourrir la haine des humains pour les créatures magiques, en voulant assouvir une vengeance qui n'avait même pas été accomplie...

Il gémit, de grosse larmes s'étalant sur ses joues pâles, son regard fuyant celui d'Alix.

- Je m'en veux tellement... Rien ne pourrait réparer ce que j'ai fait, rien... Mais.. Je te demande pardon, Alix...

Il se détourna alors, commençant à marcher vers le lac, persuadé que la jeune femme ne lui pardonnerait jamais.

Il s'arrêta, stupéfait de sentir des mains passer autour de son torse pour le stopper, de même que cette voix attristée qui déclamait des paroles que jamais il n'aurait pensé entendre, surtout venant de la personne en question.

- Je... Tu...

Passé la surprise, il se repris et lâcha un rire amer, faux.

- Tu es désolée de quoi, exactement ? Ce n'est pas toi qui a détruit ton village, c'est moi. C'est moi qui mériterait de mourir cent fois pour ce que j'ai fait. C'est moi le méchant de l'histoire. Même ton boss, il est plus sympa que moi. Tout ça ce n'est qu'une façade. La Garde Solaire a été crée pour sauvegarder la paix et la justice, mais tout ce qu'elle fait, c'est détruire des vies. On ne fait que nous protéger nous mêmes. Les humains sont la menace. Les humains sont le peuple qui doit le plus souffrir de tout cela. On essaie d'éviter une guerre que nous avons nous même créée. Il y a cinq sièges au conseil de la Garde, mais ça fait des siècles que je n'ai pas vu un humain s'asseoir à son siège, discuter avec nous. Au final, nous sommes aussi racistes que les déviants et les extrémistes du SRM.

Il venait de se lâcher. Il savait depuis longtemps que tout le système était pourri, mais il ne pensait pas craquer comme ça, maintenant.

Il se retourna pour lui faire face.

- Eh, je ne voulais pas...

Il avait merdé. Il avait merdé grave. Il n'aurait rien dû lui dire.

Il s'approcha d'elle, la prit calmement dans ses bras, tentant de la rassurer, caressant ses cheveux, le tout avec douceur.

- Je sais que tu n'es pas une menace. Je n'ai pas peur de toi.

Et il comptait bien le lui prouver. Il s'écarta un peu, et commença à enlever le haut de son armure, rapidement, efficacement, comme il savait si bien le faire. Une fois qu'elle fut ôtée, il se rapprocha d'Alix, ouvrit grand les bras, s'offrant à elle.

- Si tu veux te venger, je t'en prie. Je n'ai... Je n'ai plus rien à perdre maintenant.

Il était résolu, pour un suicidaire.